Kerviel nous fait marcher

Avant que son affaire ne soit révélée à la presse urbi et orbi, Jérôme Kerviel n'était qu'un costard sombre anonyme fondu dans cette masse grisâtre qui hante les bureaux des hautes tours de la Défense. 

C'était une molaire dans la bouche écumante de l'ogre financier insatiable, qui avalait tout, spéculait sur tout pour stocker des montagnes de pognon dans des îles paradisiaques au profit d'émirs enturbannés, de texans analphabètes de nababs indiens, de trafiquants de drogue latino-américains et de maquereaux russes.

A part  les derniers madelinistes et Nicolas Doze, Kerviel représentait tout ce que l'humain normalement constitué pouvait abhorrer : jeune loup gavé et sans scrupules qui gagne des milliers d'euros à chaque click de souris!

Mais le sombre vendeur de tapis d'hier est devenu une icône médiatique aujourd'hui.

C'est le petit David qui s'élève contre Goliath, le jeune loup qui finit par mordre les mamelles nourricières. Affublé d'un avocat clone, il a réussi à inverser son image. Il devient le pourfendeur de la finance, l'ennemi du trader arriviste, l'exécreur des Ferrari, l'abomineur des Rolex et le répugneur en chef du capitalisme.

Le délinquant financier (ou supposé tel)  le plus sexy de la planète, sponsorisé par le vieux campeur et décathlon, explose médiatiquement en allant baiser l'anneau (pas celui à quoi tu pense gros vicieux !) du pape François. Consécration ultime : le trader millionnaire se soumet au pape des pauvres (ou supposé tel) ! Et nous revient à pied ! Long périple introspectif filmé par nos bienveillantes chaînes télé à la recherche permanente du héros du jour, d'un niqueur de reines du bal, d'un gendre parfait pour la ménagère de plus de cinquante ans ivre morte et débordante d'amour et de reconnaissance pour son sextoy de compétition, acquis à prix d'or dans un ultime geste de dépit suite à un énième ratage orgasmique avec le veau qui ronfle à ses côtés.

"Kerviel est innocent !" Viendra même affirmer Jean-Luc Mélenchon soi-même, soudain autoproclamé magistrat financier en charge de l'affaire. Une icône je vous dis !

Parti pour Rome en homme accablé et conspué, Kerviel nous revient auréolé de sainteté papale, l'esprit blanc immaculé. Sa longue marche solitaire a buriné et creusé son visage qui du poupon baffreur et gâté qu'il était, est devenu celui d'un sage au regard acéré et bienveillant envers l'humanité. Un vrai miracle ! Et pour finir le tableau, il reçoit l'onction et la bénédiction du camarade président du parti de la vrai gauche... la gloire quoi !

Un beau conte de fée.