Non, la vie des gens ne m'intéresse pas

Pourquoi à partir d’un moment donné, les crânes d'œuf de la télévision ont décidé que la vie du français moyen nous intéressait ?

Les programmes font de plus en plus de place à ces reportages où il est question de la vie personnelle du français et de la française lambda, surtout depuis l’arrivée de la TNT. Un flot quasi ininterrompu d’images relatant la vie insignifiante de beaufs moyens nous assaille : problèmes de couples, de cellulite, de seins trop petits, trop gros, de nez épaté, de triple menton, d’ alcoolisme, d’addiction au jeux, couples exhibitionnistes, mon fils est débile, ma femme est moche, mon chien me quitte . 

Après les émissions de fausse téléréalité où l'on filmait des jeunes analphabètes livrés à eux mêmes dans un endroit clos truffé de caméras et dont on guettait les premières copulations. Les grosses productions s'attaquent à la vrai vie des gens. Elle va les filmer baignant dans leur propre crasse (antinomie sémantique, comme si une crasse pouvait être propre) dans leur propre jus quotidien en mettant de la musique pop, genre balades mielleuses, pour donner un peu de relief et de sentiment à leur pauvre vie. 

"Gros plan sur les larmes de Cindy  19 ans, qui dévalent ses triples mentons pour chuter dans son abyssale poitrine, lorsque Brandon lui a avoué, entre deux donnes de poker en ligne, qu'il comptait se faire opérer pour devenir escort girl de luxe à Palavas. Il l'abandonnait lâchement avec les jumeaux  qu'ils avaient conçus dans l'amour et dans un parking lors d' une cuite mémorable à la sortie de la discothèque de la ZA de Sucy-en-Brie" .

Un esprit aussi mal tourné que le mien y verrait une espèce de miroir aux alouettes dans lequel chacun est invité à se regarder pour trouver que sa propre vie n’est finalement pas si mauvaise que ça. D’un autre côté ce déversement de vulgarité, pompeusement appelé «  faits de société » n’est là que pour faire rideau de fumée qui occulte les vrai sujets de société. Nous sommes devenus des spectateurs voyeurs, tout juste capables de ricaner de la vie des autres (surtout lorsqu’elle est grotesque et inélégante) au lieu d’être simplement des témoins éclairés de faits sociaux, conscients de leurs tenants et capables, peut-être, d’y apporter des réponses intelligentes.

Nous pourrions aussi imaginer que tout ceci serait justement le fruit mûr d’un processus qui consiste à substituer la star habituelle par l’individu Lambda. Soyez une star en vous laissant filmer dans votre F3 méchamment décoré par Castorama. Vous êtes quelqu’un d’exceptionnel, vous avez une vie exceptionnelle. Star d’un soir, star sans gloire.

Tout cela va bien vite vous dirait la première madame Michu qui passe. Pas le temps de réfléchir, pas le temps d’expliquer. Zapper ! On disait que la télé c’est une boîte à miracles, elle le devient sans aucun doute car elle nous donne l’impression qu’on est formidables, que notre société va de l’avant et que c’est moins pire que si c’était plus grave. Alors on continue.

Non, la vie des gens ne m’intéresse pas. Non la vie des gens n’est pas intéressante, et gare au premier qui me dira «  alors, éteins ta télévision ! » je lui rétorquerai (car j’aime bien rétorquer) que j’ai également besoin de la télévision pour ne pas regarder ça et pour pouvoir choisir d’autres programmes. Je regarde la télé aussi pour savoir ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Non, la vie des gens ne m’intéresse pas.